Quantifier la santé mentale à partir de causes introuvables: Etude de la marche forcée des données de l'activité psychiatrique en France
Myriam Ahnich  1@  
1 : Institut des Sciences sociales du Politique
École normale supérieure - Cachan, Université Paris Nanterre : UMR7220, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR7220

Depuis le début années 2000 le Programme de Médicalisation du Système d'Information des Hôpitaux (PMSI) s'applique désormais à tous les hôpitaux publics et privés y compris les établissements déclarant une activité psychiatrique. Résultat d'un travail commun entre le ministère des finances et le ministère de la santé, ce programme s'est déployé par la création de département d'information médicale (DIM) au sein des établissements hospitaliers et médico-sociaux.

Dans ce cadre, des nouveaux agents prestataires, médecins de santé publique, communément nommés " les médecins DIM ", sont chargés de décrire à partir d'indicateurs standardisés, l'état de santé des malades et les protocoles thérapeutiques qu'ils doivent subir. Malgré l'absence de consensus concernant les définitions de la maladie mentale qu'il s'agisse des causes (étiologique) ou bien du syndrome (symptomatique), la " mesure " de l'activité des établissements psychiatriques, est réalisée à partir d'instruments progressivement admis et institutionnalisé par les pouvoirs publics. Parmi ces outils, la Classification Internationale des Maladies (CIM-10) de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) tient en bonne place. L'harmonisation récente d'un langage commun rendant effectif la standardisation d'outils de connaissance est représentatif de l'investissement croissant des pouvoirs publics sur ce nouveau " risque ", le trouble psychique, admis au 3ème rang des maladies les plus fréquentes. Risque, dont les effets de sa normalisation se dévoilent à mesure de l'élargissement des catégories diagnostiques instituées par ces classifications désormais consacrées.

Après la deuxième guerre mondiale, le processus de rationalisation opérée en psychiatrie procède d'une part à travers la montée en puissance de la biomédecine, où l'épidémiologie tient une place centrale. D'autre part, à partir des réformes engagées par le Ministère de la santé et de la Sécurité Sociale allant dans le sens d'une optimisation progressive des dépenses publiques rendu possible par l'usage d'outils permettant une évaluation plus fine des données recueillies. Ainsi, en psychiatrie, la demande croissante de production statistique de la part des administrations étatiques marque la volonté de " classer pour compter " mais ce nouveau regard posé sur les données de l'hôpital psychiatrique, s'est très vite étendue à l'ensemble des caractéristiques du patient et de sa prise en charge, qu'elle soit technique ou psychologique. Cette intrusion des indicateurs de santé à l'hôpital psychiatrique résultant pour une part, de la désinstitutionalisation déterminante de l'accroissement des prises en charge ambulatoire, est le produit d'un long processus complexe dont l'aboutissement a consisté à ouvrir la boîte noire des asiles et de tenter de comprendre, ce qui était resté jusqu'alors dans l'ombre de la connaissance.

En nous appuyant sur un travail d'archives accomplie au sein de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), du Ministère de la Santé, de l'OMS et d'une série d'entretiens biographiques réalisée avec des " psychiatres qui classent ", notre communication propose de revenir sur la genèse de la production d'outils de quantification en santé mentale en interrogeant dans un premier temps les conditions de possibilité de l'entrée d'une vision statis- tique sur la maladie mentale en France. Dans un second temps nous évoquerons l'influence de la " psychiatrie mondialisée " dans la construction d'une vision possiblement mesurable de la santé mentale devenue aujourd'hui dominante à travers la présentation et l'analyse du projet WHO/ADAMHA de l'Organisation Mondiale de la Santé mis en place au début des années 1980.


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