D'une "mesure" à un dispositif de quantification à l'usage scientifique contraint : genèse et limites des données électorales permettant le calcul de la représentativité syndicale en France depuis 2008
Tristan Haute  1@  
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CNRS : UMR8026, Université Lille II - Droit et santé
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Tristan HAUTE - Doctorant en science politique
CERAPS - UMR 8026 CNRS / Université de Lille
tristan.haute@orange.fr, 06 81 43 49 62

« Le travail des données : sociologie des pratiques de quantification »

Colloque - 13 et 14 juin 2019 - Université de Caen Normandie

Proposition de communication - axe « Qui produit les données ? »

« d'une " mesure " à un dispositif de quantification à l'usage scientifique contraint : genèse et limites des données électorales permettant le calcul de la représentativité syndicale en France depuis 2008 »

Depuis la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la « démocratie sociale », la « représentativité » des organisations syndicales françaises est calculée sur la base de leurs résultats électoraux à une multitude de scrutins dans et hors de l'entreprise. Il a dès lors fallu établir une base de données électorales permettant de justifier la « représentativité » ou non de telle ou telle organisation syndicale à tel ou tel niveau.
À travers le recours à des images comme celle du « baromètre » (Labbé, 1994) ou du « thermomètre » (Combrexelle, 2013), les résultats des élections professionnelles sont depuis longtemps désignés comme des phénomènes naturels et interprétés comme des indicateurs d'audiences syndicales. L'institution du dispositif MARS (Mesure de l'Audience pour le calcul de la Représentativité Syndicale), qui découle de la réforme de 2008, a conforté cette idée en reprenant, dans son intitulé, la notion de « mesure », celle-ci se référant à une métrologie réaliste. Or, du fait de la fonctionnalité des données électorales, de leur nouvelle chaîne de production (Pénissat, 2009) et de leur composition (Haute et Yon, à paraître), le dispositif MARS construit en partie « la réalité » qu'il est sensé refléter. Il serait dès lors plus juste de parler d'un dispositif de quantification de l'audience syndicale : ce dispositif, à l'image d'autres systèmes de recueil et de traitement des données électorales, loin d'être un simple dispositif technique, est le produit de décisions et d'arrangements sociaux sur ce qui peut être mesuré et comment.
Afin de relier les travaux portant sur, « d'une part, la construction des données, puis, d'autre part, [sur] leur traitement et leur interprétation » (Desrosières, 2001, p. 112), cette communication, basée sur un chapitre de thèse en cours de rédaction, propose d'investiguer la « base de données », qui « fonctionne comme un sas de passage » entre ces deux mondes souvent présentés comme bien distincts (Ibid., p. 112). Nous montrerons ainsi d'une part que l'objectif avant tout juridique du dispositif impacte non seulement la chaîne de production des données mais aussi la sélection des données qui doivent ou non être intégrées dans la « mesure », cette construction du dispositif, de son objectif au au processus de sélection des données, étant le résultat d'arbitrages à divers niveaux. D'autre part, l'usage de ces données à des fins scientifiques, c'est-à-dire pour se dégager du commentaire électoral (Le Digol, Voillot, 2011), apparaît contraint, les données disponibles dessinant en effet un corps électoral effectif très différent du salariat théoriquement concerné et agrégeant des scrutins incomparables ou du moins hétérogènes. Pour ce faire, au-delà de la mobilisation de la littérature sur le dispositif, déjà relativement foisonnante, et des observations des organisations syndicales et de la Direction Générale du Travail, nous réaliserons une analyse des fichiers de données désormais diffusés sur le portail « data.gouv.fr ».

Références

Combrexelle Jean-Denis (2013), « La réforme de la représentativité syndicale : vue de la salle des machines », Droit Social, 2013, vol. 11, pp. 932-940
Desrosières Alain (2001), « Entre réalisme métrologique et conventions d'équivalence : les ambiguïtés de la sociologie quantitative », Genèses, n°43, pp. 112-127
Giraud Baptiste, Yon Karel, Béroud Sophie (2018), Sociologie politique du syndicalisme : introduction à l'analyse sociologique des syndicats, Armand Colin, Paris, Collection U, 240 p.
Haute Tristan, Yon Karel (2018), « La construction sociale de la représentativité syndicale : un éclairage à partir des branches professionnelles », Travail et Emploi, à paraître
Labbé Dominique (1994), Les élections aux comités d'entreprise (1945-1993), Grenoble, CERAT
Le Digol Christophe, Voillot Christophe (2011), « Hors-champ : l'analyse politique et les élections professionnelles », in Leclerc Olivier, Lyon-Caen Antoine (dir.), L'essor du vote dans les relations professionnelles, actualités françaises et expériences européennes, Paris, Dalloz, pp. 41-51
Pénissat Etienne (2009), L'État des chiffres. Sociologie du service de statistique et des statisticiens du ministère du Travail et de l'Emploi (1945-2008), thèse pour le doctorat de science politique, EHESS

 


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