Dans les coulisses des services de mobilité: de la production de données à la prise en compte des usagers.
Maylis Poirel  1@  
1 : LVMT (laboratoire ville mobilité transport)
Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, École des Ponts ParisTech (ENPC), Université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEMLV)

POIREL Maylis
Post-Doctorante au LVMT (UPEM, IFSTTAR, Ponts Paris Tech)
Docteure en sociologie
maylis.poirel@enpc.fr


DANS LES COULISSES DES SERVICES DE MOBILITÉ :
DE LA PRODUCTION DE DONNÉES À LA PRISE EN COMPTE DES USAGERS


Proposition de communication dans le cadre du colloque « Le travail des données : sociologie des
pratiques de quantifcation ».


Dans le secteur de la mobilité, la compréhension des usagers et de leur comportement est un enjeu incontournable. Chez les producteurs des services de mobilité – exploitants, maîtres d'ouvrage, autorités organisatrices – de nombreux outils et démarches sont mis en oeuvre pour cerner leurs attentes et y répondre : mise en place d'indicateurs de qualité de service, enquêtes de satisfaction, traitement des réclamations. Ces démarches sont accompagnées d'un discours adressé aux usagers, qui repose sur l'idée qu'en donnant leur avis, ceux-ci peuvent devenir des acteurs de l'amélioration de la qualité du service qui leur est rendu.

Par ailleurs, au cours des années 2000, de nouvelles initiatives bouleversent le secteur de la mobilité : des services dits collaboratifs, comme le covoiturage, se développent et sont expérimentés à différentes échelles. De nouveaux acteurs, issus notamment du secteur du numérique, parviennent à s'imposer au sein du jeu d'acteurs institué. A travers ces initiatives, on observe une remise en cause de la relation classique entre producteurs du service et usagers bénéfciaires : les professionnels deviennent des intermédiaires entre des usagers qui eux, se situent à la fois du côté de l'offre et de la demande. Dans le cas du covoiturage, le travail d'intermédiation repose sur la mise en place d'outils numériques (applications smartphone, plateforme sur internet, ou objet matériel sur la voirie, comme la « station de covoiturage » développée par la startup ecov). L'enjeu pour les producteurs qui mettent en place ces outils est d'acquérir des données sur l'offre et la demande potentielles, d'une part dans l'objectif opérationnel de leur mise en relation, et d'autre part dans l'objectif stratégique de justifer la réussite de la solution de covoiturage expérimentée.

Ainsi, qu'il s'agisse de services publics institués ou de solutions de covoiturage en cours d'expérimentation, la production de données sur les usagers est cruciale pour les professionnels. Dès lors, il est intéressant de se poser la question du « travail » qui se cache derrière les notions de « recueil », de « traitement », d'« acquisition », de « nettoyage » ou de « remontée ». L'objectif de cette communication est de déconstruire l'appréhension procédurale du travail de production, de traitement et de mobilisation des données, en se plongeant dans le quotidien des multiples acteurs qui y participent. L'analyse repose sur l'hypothèse que la créativité et l'imprévisible que le travail des données cherche à contrôler à propos du monde réel constituent également le quotidien des acteurs (chercheurs, développeurs, praticiens) impliqués dans ce travail des données.

L'analyse s'intéresse au cadre bien spécifque du travail de prise en compte des usagers réalisé par les professionnels produisant des services de mobilité. Elle s'inscrit dans une recherche doctorale menée entre 2014 et 2018. La démarche de recherche repose sur une enquête qualitative menée auprès de deux producteurs de services de mobilité en Île-de-France, constituée d'observations participantes de situations de travail, d'analyse documentaire et d'entretiens semi-directifs. Le premier cas est celui du STIF suivi dans ses missions d'organisation du développement et de l'exploitation des services régionaux de transports collectifs. Le deuxième cas est celui d'une jeune start-up de covoiturage courte distance, ecov, analysée au moment du lancement d'une expérimentation en partenariat avec les collectivités locales.

En mettant en perspective le traitement des réclamations au STIF et la mise au point des stations de covoiturage chez ecov, l'objectif est de mettre en évidence deux éléments de remise en cause du schéma linéaire du traitement de données. D'une part, l'analyse de situations de simulation d'usage d'outils de recueil de données montre que le mouvement d'extraction des données du « monde réel » vers la « boîte noire » ne peut être séparé d'un mouvement qui lui préexiste d'immersion fictionnelle depuis la « boîte noire » vers le « monde réel ». D'autre part, en se plaçant à une échelle large et ouverte, l'analyse montre l'intérêt de ne pas isoler le « travail de données » de l'ensemble des activités professionnelles qui lui donnent sa raison d'être.


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