Objectiver la construction de statistiques sur les effectifs étudiants. Preuve par le chiffre et pratiques statistiques.
Mélanie Sargeac  1@  
1 : Institutions et Dynamiques Historiques de l\'Économie et de la Société
Université Paris Nanterre : UMR8533, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR8533

Mélanie Sargeac

Doctorante contractuelle en sociologie à l'IDHES

(Université Paris Nanterre/ENS Paris Saclay)

melanie.sargeac@gmail.com

 

Objectiver la construction de statistiques sur les effectifs étudiants.

Preuve par le chiffre et pratiques statistiques.

 

Successivement depuis le début des années 2000, et à la suite de l'adoption la même année de la stratégie de Lisbonne, plusieurs lois (LOLF, LRU, ESR) – dont relève plus ou moins directement le domaine de l'enseignement supérieur – se sont « tournées vers l'objectivation systématique des performances » (Lebaron, 2008). Ces différentes lois offrent un terrain propice à la mise en place par les établissements d'outils statistiques, mais qui en pratique apparaissent à la fois encadrés et autonomes par la dimension ad hoc qu'ils comportent. En effet, si le cadre national est déterminé par le ministère, ce sont les établissements qui produisent eux-mêmes ces indicateurs en tant qu'institutions responsables de leur évaluation chiffrée. Les enjeux liés à une tension entre centralisation de la gestion des établissements du supérieur et leur autonomie apparaissent ici, face à la transposition dans le domaine de l'éducation d'une pratique de gestion publique pratiquée couramment au sein des entreprises (Vinokur 2005).


D'autre part, la disponibilité accrue de données ministérielles nous amène à interroger la valeur attribuée par le ministère à ces statistiques, et à questionner dans quelle mesure cette visibilisation publique, ordonnée par ces dispositifs, et imposée par le cadre légal international contribue à penser l'organisation et la gestion de l'enseignement supérieur à partir d'indicateurs statistiques. En effet, en contribuant à cette mise en ligne publique de données sur l'enseignement supérieur, cette plateforme d'Open Data oeuvre à transformer des mises en nombre en « expertise », et – comme nous en faisons l'hypothèse – à constituer à travers leur création et leur codage des manières de voir situées sous une apparente visée de neutralité (Desrosières 2005). L'institutionnalisation progressive d'un champ international de recherches pratiques sur la gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche – que l'engagement massif de l'OCDE dans les questions universitaires depuis la fin des années 1960 peut illustrer (Fondu, Sargeac, Waltzing), tout comme l'utilisation croissante du benchmarking (Bruno & Didier 2013) et de l'evidence-based policy (Davies & Nutley & Smith 2000) – stabilise dans ce champ les conditions de l'utilisation concomitante de la statistique comme outil de gouvernement et comme outil de preuve. Pourtant, nous formulons une seconde hypothèse selon laquelle la rhétorique de la mesure de la performance qui s'appuie sur la « pensée chiffrée » – fortement véhiculée par les discours à la fois législatifs et institutionnels – n'est pas effective en pratique en raison d'un déficit de moyens et de compétences techniques malgré la production massive de statistiques. La portée originale de notre travail pourrait se trouver dans le prolongement des analyses sur les discours des politiques publiques par une sociologie du travail. Il s'agit, au-delà de ces discours qui véhiculent une logique de mesure de la performance illustrée par une « politique du chiffre », d'analyser ce qui se fabrique effectivement par le travail des données.

Nous cherchons à observer comment sont fabriquées ces données, ce qu'elles disent sur l'Université, et enfin comment elles sont utilisées par ceux qui organisent leur production (c'est-à-dire quelle est la vision de ces acteurs, et de comprendre si cette vision permet par anticipation de diriger la construction de ces données). Ce travail en cours s'efforce d'apposer à une analyse théorique, qui étudie comment la production de statistiques sur l'enseignement supérieur s'insère dans ce contexte politique de « preuve par le chiffre » (Jatteau 2016), une analyse empirique de la construction pratique par les professionnels de ces données au sein de ce cadre. Il s'agit d'entrevoir dans ce contexte d'organisation politique de la statistique publique, qui sont les acteurs qui produisent ces données, à partir de quels outils, en utilisant quelles techniques, et de comprendre les relations entre les différentes institutions productrices. Un accès aux différents services élaborant les statistiques a pu être négocié au sein d'un établissement universitaire parisien, et également au sein du service statistique de ministère.

 


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